
Le Père Noël, aux origines anciennes et païennes à travers le dieu Wodden, n’est pas le seul personnage fabuleux et bienfaiteur de la période de Noël. Il existait aussi une « Mère Noël » dont les origines divines à travers la déesse Frigg (voir ici notre article sur les origines du Père et de la Mère Noël), nous ont donnés trois personnages qui n’en forment en réalité qu’un seul. Nous parlons de Sainte Lucie, de Frau Holle ou Berchta c’est-à-dire Dame Hiver, et de Christkindel. Ces personnages sont souvent présentés dans les ouvrages et sur Internet séparément sans faire mention des autres noms et coutumes, comme s’il s’agissait de personnes complétement différentes. Pourtant il s’agit bien d’un seul et même être fantastique qui, en traversant le temps, prit des noms différents selon les régions, les cultures et les religions. Cet être fabuleux est ainsi toujours représenté de la même manière : une jeune femme à la grande robe blanche et portant une couronne de bougies. Mais qui est donc cette femme à la triple représentation et surtout connue dans les régions germano-scandinaves ?

Sainte Lucie
Tout commence avec Sainte Lucie qui, bien que née païenne dans une famille aisée de la fin du IIIe ou du début du IVe siècle à Syracuse, en Sicile, se converti au christianisme et, comme Sainte Barbe, voua sa virginité à Dieu. Recherchés par les autorités romaines pour fanatisme et trouble de l’ordre public, les premiers chrétiens se cachaient dans des grottes. La nuit venue, Lucie leur apportait des vivres et, ayant besoin de ses deux mains pour le faire, elle se coiffait d’une couronne de bougies dont la lumière lui permettait d’éclairer son chemin.
C’est son fiancé, un peu dépité par son comportement, qui la dénonça comme chrétienne aux autorités romaines. Elle sera alors envoyée dans une maison de débauche par le préfet Paschasius, afin d’y subir les pires outrages. Elle répondra à cette condamnation en disant : « Le corps n’est souillé que si l’âme y consent… ». Elle fut par la suite exécutée, mais sa fin reste floue, on ne sait pas si elle fut simplement décapitée ou si elle mourut cruellement en étant envoyée nue dans une chaudière, égorgée et les seins amputés comme le suggère un tableau italien.
Une fête oubliée, une date décalée…
La dépouille de Lucie fut vénérée par les chrétiens dans la ville natale de la sainte avant que ses reliques ne soient transportées à Constantinople, puis à Venise après la quatrième croisade (1204), où elles sont toujours sujettes d’adorations. Mais une partie de ses reliques furent ramenées en Lorraine au Xe siècle par l’évêque Thierry Ier de Metz et déposée à l’abbaye de Saint-Vincent avant de reposer depuis 2012 dans l’église Saint-Clément dans la cité du Graoully (article à venir). Tout comme pour Saint Nicolas, c’est donc à la Lorraine que l’on doit le culte de Sainte Lucie qui se propagea rapidement à travers le Saint-Empire Romain Germanique depuis la ville de Metz. Paradoxalement, Sainte Lucie est aujourd’hui surtout célébrée en Suède et dans les pays voisins. Son culte n’est pourtant pas relaté avant le XVIe siècle pour ce pays, ce qui correspond aux guerres de religions où la Suède intervint militairement sur le continent. Est-ce en rentrant chez eux que les soldats ont rapportés les traditions des pays qu’ils avaient visités ? Une chose est sûre, c’est qu’à cette époque et jusqu’aux temps modernes, elle se cantonnait uniquement aux régions du Sud-Est du pays. Sa propagation vers d’autres territoires de la Suède puis vers d’autres pays comme la Finlande, la Norvège et autres régions nordiques, ne s’opéra qu’à partir du XXe siècle. Tandis qu’en Lorraine où tout avait pourtant commencé, et dans les pays voisins comme l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche, son culte et ses célébrations se sont complètement effacés ne nous laissant que les légendes de cette Dame Berchta et du Christkindel qui se manifestent lors de cette nuit du 23 décembre, date originelle de la fête de Sainte Lucie ! Celle-ci fut décalée au 13 décembre par le pape Grégoire XIII qui modifia en 1582 le calendrier établi de Jules César adopté par l’Église au Concile de Nicée en 325. En effet, en raison du phénomène de précession des équinoxes, trois jours de trop s’ajoutaient à ce calendrier tous les 400 ans ! C’est donc avec l’aide du savant calabrais Lilo que le pape fit supprimer cette dizaine de jours supplémentaires qui fut imputés au mois d’Octobre. Mais ce retranchement n’eut lieu dans nos régions que deux mois plus tard, c’est-à-dire au 20 décembre, se substituant aux dix jours du même mois. C’est ainsi que certains saints comme Lucie furent rétrogradés à une autre date.
Pour preuve, nous avons ce dicton :
« A la Sainte Luce, le jour avance du saut d’une puce ».
C’était en effet le cas au 23 décembre ou Luce (pour la rime) en était le repère astronomique, mais pas au 13 où les jours diminuent encore…
Ci-dessous : l’abbaye de Saint-Vincent où se trouvaient depuis le Xe siècle les reliques de Sainte Lucie, et l’église Saint-Clément où elles y logent depuis 2012 (Metz).


Les lumières de l’espoir, avec une petite note de paganisme
Comme vu précédemment, Sainte Lucie était un symbole d’espoir, quand les réfugiés des cavernes voyaient le visage illuminé de la jeune femme par les bougies venir leur apporter de la nourriture. Lucie est donc une sainte de l’espoir et de la lumière. Son nom vient d’ailleurs du mot latin lux ou lucis et signifie « lumière ». Bien qu’il s’agisse d’une personne historique, beaucoup de légendes et de confusions se brodèrent autour de la sainte, et ce notamment par l’Église qui y vit un moyen parmi tant d’autres de lutter contre le paganisme et, dans ce cas-là, d’évincer la déesse Frigg principalement présente pendant la période du solstice d’hiver où elle patronne l’échange des dons, et contribue à la distribution des bienfaits (principalement de la nourriture) à Yule, cette festivité germano-scandinave du solstice. Frigg était aussi surnommée « la grande fileuse », car avec son rouet elle filait la destinée des autres dieux. Bien qu’elle connût l’avenir, jamais elle n’énonçait de prophéties. Selon Guy Trandel, ce mythe fut conservé notamment en Alsace où l’on retrouve cette tradition :
« Dans les traditions alsaciennes, les femmes étaient tenues d’arrêter de travailler au rouet à partir du 23 décembre. Cette date marquait en même temps la fin des « Kunkelstuben », « les veillées ». La raison en est toute simple. A partir du 24 décembre, le soleil changeait sa route. Lui qui ne cessait de fixer de ses yeux la roue du rouet, il ne « descendait » plus sur l’horizon, mais il « remontait ». A partir de cette date, les jours se rallongeaient et les nuits s’écourtaient. Alors imaginons que les fileuses poursuivaient sans interruption leur travail au rouet durant lequel la roue tournait à l’envers, et non dans le sens de la course du soleil ! L’astre du jour poursuivrait sa route, c’est-à-dire qu’il continuerait à s’enfoncer dans l’obscurité. Toute la création serait condamnée à mort si la lumière du soleil ne brillait plus. Afin que le soleil comprenne qu’il était temps de « remonter » dans le ciel, les fileuses s’arrêtaient donc de filer le 23 au soir.

Dame Hiver
C’est donc ce mélange de Sainte Lucie et de la Déesse Frigg qui donnera naissance aux croyances populaires du Christkindel et de Berchta que l’on connait en France sous le nom de Dame hiver grâce au conte des Frères Grimm que vous pouvez retrouver ici. Cette dernière a bien des noms selon les régions et certains sont révélateurs comme Klausenweiblein, « la petite femme de Nicolas », ou encore Frau Frigg qui fait directement référence à la déesse. En Lorraine, en Alsace, en Autriche et dans le sud de l’Allemagne, on la retrouve sous les noms de Berchta ou Bertha, Perchta, Perchtl, Pechtra, Perscht ou encore Pudelberta pour ne citer que quelques variantes. Ce nom de Perchta, évolué en Berchta dans nos contrées, tire son étymologie du germanique « peraht » qui signifie « lumineux », exactement comme le nom de Lucie ! Selon le folkloriste Roger Maudhuy, la déesse aurait d’ailleurs laissé son souvenir dans les Vosges du versant lorrain, à travers la légende des Dames Vertes du lac Longemer. Son nom de « Dame Berthe » aurait évolué en « Dames Vertes ». Il fait aussi allusion à la déesse Herta pour cette étymologie. Dans le Nord de l’Allemagne, Dame Hiver se nomme Frau Holle, Holt, Hulda, ou Holda, tandis qu’au centre du pays elle se nommait Hollefrau, Hullefrau, Frau Harke ou Holde, pour encore une fois ne citer que quelques exemples. Certains ont voulu y voir dans le nom de « Holle » le mot allemand Hölle qui signifie « enfer », nous ramenant à la déesse Hella ou Hel. N’y aurait-il effectivement pas là un certain sens, quand on sait que Frau Holle apparait au cœur de l’hiver, et que selon la croyance mythologique germanique le Nibelheim, c’est-à-dire le monde du dessous ou l’enfer ou règne Hel, était un monde glacial ?
Le Christkindel, dit aussi Krischkindsche, Kréschtkìnnel, Krìschkìdsche en francique lorrain, et dont le nom signifie « enfant Jésus », n’apparait qu’au XVIe siècle suite aux mouvances protestantes qui souhaitent lutter contre la fête catholique de Saint-Nicolas. Cela explique en partie pourquoi le culte de Sainte Lucie disparu petit à petit de la Lorraine, ou du moins de la Lorraine romane et d’autres régions d’Allemagne et d’Autriche restées profondément catholiques et préférant, en réponse aux protestants, se consacrer davantage à Saint-Nicolas qui était de plus le saint patron des lorrains. A l’inverse, quand la figure du Père Noël finira plus tard par séduire les peuples de croyance protestante, c’est dans les régions catholiques que la légende de Christkindel ou Frau Holle sera la plus vivace. Christkindel vient récompenser les enfants sages la nuit du 23 décembre en leur apportant boissons chaudes et gâteaux. Elle se fait souvent accompagner du Krampus ou Hans Trapp ou encore Rubbéls en francique lorrain, qui tient, comme avec le Père Fouettard qui accompagne Saint-Nicolas, le rôle du méchant qui effraye et puni les enfants qui ont été méchants.

Dans les légendes locales, qu’elle porte le nom de Dame Berchta ou de Christkindel, c’était une belle jeune femme vêtue de blanc avec une couronne illuminée de bougies sur la tête et qui n’est pas sans rappeler les attributs de Sainte Lucie. Il faudra attendre les temps modernes pour que Frau Holle devienne, avec le conte des Frères Grimm, une vieille dame amenant ainsi vers l’image de la Mère Noël qui naitra au XIXe siècle. Pendant la période de Noël, cet être fabuleux venait diriger la « Cohorte des Innocents ». Selon la croyance chrétienne, les enfants mort-nés ou morts en bas âge et n’ayant pu être baptisé à temps n’avaient pas le droit au repos éternel du Paradis. Leurs âmes étaient donc piégées sur Terre, condamnées à errer pour l’éternité, et elles se manifestaient pendant les Raunächte, « nuits de l’effroi », qui s’étendent de Noël jusqu’à l’Épiphanie. Les parents touchés par le malheur et d’autres personnes faisant preuve d’altruisme, déposaient de la nourriture sur les bords des fenêtres ou sur le bas de la porte, pour que Christkindel vienne les chercher pour ces pauvres âmes. A cette occasion, on confectionnait des gâteaux au miel à l’effigie de Berchta.
La tradition de cette dame hiver et de la Sainte Lucie était encore vivace dans le Sundgau et la région de Strasbourg au XIXe siècle. Dans cette dernière ville elle subsiste au travers de son marché de Noël dit Chrischkindelmärik. En Lorraine, selon le folkloriste Roger Wadier, son souvenir réside en ces quelques édifices religieux consacrés à Sainte Lucie et ces rares légendes survivantes au sujet du Christkindel. Les légendes des Dames Vertes de la Vallée des lacs dans les Vosges et autres endroits sont aussi quelques souvenir de Bertha qui prouvent sa présence également dans des régions romanes limitrophes. Depuis plusieurs années, la ville de Metz et autres communes lorraines tentent de raviver ce mythe en organisant des marches des lumières avec lampions et bougies pour cette occasion. On peut également ajouter, en souvenir, la Couronne de l’Avent, populaire autrefois (plus rares dans les commerces aujourd’hui) en Lorraine et en Allemagne, qui s’illumine de bougies représentant les quatre dimanches qui précèdent Noël, et qui n’est pas sans rappeler de ce fait la couronne de lumière que portent Sainte-Lucie, Frau Holle et Christkindel.

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Texte :
Jean-Michaël CHOSEROT
Photos / illustrations : (Dans l’ordre de parution)
Carte de Noël d’Adèle Söderberg (image libre de droit).
Sainte Lucie en Suède (wikimedia) ; carte postale ancienne de Frau Holle (Musée allemand des contes et de la Weserscar) ; Reconstitution de Christkindel en Alsace (Jen-Michaël Choserot).
Abbaye de Saint-Vincent de Metz (Wikimedia) ; église Saint-Clément à Metz (Jean-Michaël Choserot)
Sainte Lucie à Vienne (Wikimedia)
Le Christkindel et Hans Trapp (image libre de droit).
Couronne de l’Avent (Jean-Michaël Choserot)
Sources / bibliographie :
SAUVÉ Léopold-François, Le Folk-lore des Hautes-Vosges, [1888], réédité dans la Série « Les littératures populaires de toutes les nations », tome XXIX, G.P. Misonneuve &Larose Editeurs, Paris, 1967, 416 p. Et présenté par FISCHER Gérard et Marie-Thérèse, Floklore des Vosges, sorcellerie, croyances et coutumes populaires, Editions Jean-Pierre Gyss, 1984, 242 p.
TRENDEL Guy. Les dieux oubliés des Vosges. Coprur, (Strasbourg, France), 1999, 128 p. (p. 93 à 96).
WADIER, Roger. Noëls Lorrains, des Avents à la Chandeleur. Édition Pierron, (Sarreguemines, France), 2000, 268 p. (p. 65 à 71)
ELY, Richard. Le Grand Livre des Esprits de Noël, Fées, elfes, lutins, fantômes et autres créatures magiques de l’hiver. Édition Vega, 2020, 159 p.
Anonyme. Les reliques de Sainte Lucie à Metz, « BLE Archives, Centre de ressources numériques sur la Lorraine ». [En ligne], 23/12/12, (consulté le 19/12/22). URL : http://blogerslorrainsengages.unblog.fr/2012/12/23/reliques-de-sainte-lucie-a-metz/.
Anonyme. Le Temps des promenades illuminées de l’Avent, « BLE Archives, Centre de ressources numériques sur la Lorraine ». [En ligne], 24/12/10, (consulté le 19/12/22). URL : http://blogerslorrainsengages.unblog.fr/2010/12/24/le-temps-des-promenades-illuminees-de-lavent/.